samedi 10 mai 2014

Le Japon illustré, extraits


 

« Ils ont dû se laisser entraîner par le courant d'eau tiède ...»







«Feuilleter ces pages illustrées, c'est faire, sans quitter son fauteuil, le plus agréable voyage.»

 

CHALLAYE Félicien, Le Japon illustré. Edition Larousse, à Paris [1915].

 

 

 

J'ai consulté cet ouvrage au fonds ancien de la bibliothèque des beaux-arts de Toulouse. Il donne un aspect complet de la vie japonaise à la fin de l'époque d'Edo, c'est à dire à la fin de la politique d'isolement du Japon, appelée Sakoku (qui signifie "fermeture du pays" - entrer ou revenir du Japon sans autorisation était puni de mort), et le début de l'ère Meiji, en 1868, où, mis sous la pression des pays occidentaux, le Japon s'ouvre et se modernise.

Dans la préface, Félicien Challaye ne cesse de faire des ponts entre le vieux Japon et le Japon moderne, cherche les survivances de l'Asie antique et les emprunts de l'Europe moderne : "un singulier mélange d'art que la civilisation orientale et de moderne civilisation européenne […] un mélange de deux civilisations."

Le livre est composé de six chapitres : le pays et ses habitants (le Japon à vol d'oiseau - les habitants - la vie matérielle - la vie morale - les femmes et l'amour), moeurs et coutumes (la vie de famille - les travaux - les distractions), la civilisation (historique sommaire - les religions - la langue et l'écriture - la littérature), les arts, la vie économique et politique, les villes et régions, et enfin les colonies japonaises (Formose et la Corée).

 

FIN DES PRESENTATIONS !

 

 

J'ai pris quelques photos (beaucoup), ai retenu quelques paragraphes, des choses parfois générales, d'autres très anecdotiques, que j'ai gardé parce-que je trouvais ça drôle, ou poétique. C'était incroyable d'avoir un livre d'un siècle entre mes doigts (gantés), tu le lis, tu es ailleurs, et tu es changé. J'en suis ressorti aussi apaisé et épanoui qu'un thuya en pot.

 

 

 

" Les îles japonaises peuvent être considérées comme formées par les sommets d'une chaîne montagneuse aux bases profondément immergées. On trouve dans les mers voisines du Japon quelques-unes des plus grandes profondeurs connues : aux îles Kouriles, 6865 mètres ; à l'est du Japon, 8491 mètres. "


 

 

 

— Le Nord du Hondo

Matsushima

" Sur la côte est du Hondo se trouve l'un des plus célèbres paysages : celui de Matsushima. C'est l'un des Sankei, c'est à dire l'une des trois merveilles naturelles du Japon (les deux autres sont Ama no Hashidate et Migajima).

[...] Ces ilôts, irréguliers, les uns pointus les autres courbés, les autres évidés, creusés en arches naturelles sont couverts de pins qui réussissent à pousser partout et prennent toutes les attitudes, tantôt dressés vers le ciel, tantôt penchés sur la mer, parfois même accrochés la tête en bas.

[...] "Les troncs et les branches se tordent en gestes d'expression forcée, des gestes d'acteur japonais." (Louis Albert, Paix japonaise, p.232) "






⁂ 


«Qui croissent sur les ruines» 

— Nikko

" Lotti a remarqué que des mousses, des fougères, des lichens croissent sur les bronzes : "C'est je vois, un des charmes les plus singuliers de ce lieu, le mélange d'un pareil luxe, unique au monde, avec les dessous intimes de la forêt, avec des petites plantes si frêles et si sauvages, qui ne croissent qu'après des siècles de tranquillité sur les ruines." (Japonerie d'Automne, p. 207). Lotti a vu, dans un endroit du lieu saint, des prêtres, avec des espèces de balais fins, "brosser la mousse", la mousse recouvrant les dalles. "

 




« L'annexion de la Corée […] le prince Yi Djyun-wi, se plaint, en termes émouvants, à un rédacteur du Courrier européen, de ce que par civilisation, les Japonais entendent japonisation, et qu'ils violent les traditions séculaires et les libertés essentielles de la Corée. »


— Le mariage en Corée  

La vie morale et sociale

"La fiancée a revêtu une robe de cour ; elle a sur la tête une énorme coiffure faite surtout de faux cheveux, surmontée d'une sorte de tiare. Son visage est fardé, ses lèvres peintes en rouge. Ses cils ont été entièrement collés pour qu'elle ne puisse ouvrir les yeux.

Le jeune homme boit une coupe de vin qu'il offre ensuite à la jeune fille. Puis deux femmes content des histoires drôles qui font rire aux larmes les assistants : seule la mariée n'a pas le droit de rire ; si elle riait, le mariage serait rompu. De même si la mariée, qui doit garder le silence, répondait à son mari quand celui-ci essaie de la faire parler. Après a lieu le repas de noce. C'est le soir seulement qu'on décolles les yeux à la mariée. Le mari vient passer chez elle les trois premières nuits. Puis il l'emporte dans sa propre famille, sous la surveillance de la mère."




 

  Les travaux et les distractions

" Les Coréens se résignent au travail, mais ils sont loin de s'y plaire. Ils préfèrent l'oisiveté. Leurs proverbes plaignent ceux qui sont contraints de faire un effort. L'un d'eux dit, par exemple : «Le mendiant lui-même a pitié du lecteur du palais.»

Les Coréens aiment à flâner, en fumant une longue pipe. Ils jouent à l'escarpolette, au cerf-volant, à la glissade les jours de pluie. "





 

«Les envahisseurs qui ont chassé du Japon les Aïnos...»

Le Hokkaido 

Les Aïnos

" Selon certaines légendes des Aïnos, leur race descendrait d'un chien. M. Zaborowki cite l'une de ces légendes :

"Aussitôt que le monde fut sorti des eaux, une femme vint habiter la plus belle des îles qu'occupe aujourd'hui la race aïno. Elle était arrivée sur un navire poussé par un vent propice d'occident en orient. Amplement munie d'engins de pêche et de chasse, elle vécut plusieurs années heureuse dans un magnifique jardin. Un jour, au retour de la chasse, elle alla se baigner dans le fleuve qui séparait son domaine du reste de l'univers. Ayant aperçu un chien qui nageait vers elle avec rapidité, elle sortit de l'eau pleine d'effroi. Toutefois le chien la rassura, lui demandant la permission de rester près d'elle, pour lui servir de protecteur et d'ami. Elle se laissait persuader, et de leur union naquit le peuple aïno." (Zaborowski, Les Enfants des loups et des ours, Revue Universelle, n°16.)

Selon d'autres légendes, la race descendrait des ours. Il semble bien que l'ours soit le totem, l'être sacré des Aïnos.

Les Aïnos sont vêtus de robes faites d'écorce d'ormeau tissée ; en hiver, ils se couvrent de peaux de bêtes. Aujourd'hui ils achètent souvent des vêtements japonais ou des étoffes japonaises. Ils habitent des huttes très simples. Ils se nourrissent du produit de leur pêche et de leur chasse. Ils harponnent les saumons, qu'ils arrêtent par des barrages établis dans les cours d'eau, ils tuent les ours à l'aide de pièges. […] "

 

 

 


 

«[...] parce-qu'ils étaient enfermés dans des îles qui restèrent longtemps isolés du reste du monde.[…] C'est dans la seconde moitié du XIXème siècle seulement que les Européens et les Américains ont, par la force, contraint les Japonais à ouvrir leur pays et à entrer en contact avec les autres peuples.»

 



" M. Louis Aubert montre comment la notion de personnalité joue un moindre rôle dans la vie quotidienne du Japonais que dans celle de l'Européen. […]

Dévotion à la famille, à l'Etat, imperturbable politesse, douceur aux animaux, adoration de la nature : l'homme, au Japon, est dressé à s'oublier ; envers lui-même il agit, autant que possible, comme s'il était un autre ; envers les autres comme s'ils étaient lui-même.

Dans le langage de ce peuple, même impersonnalité que dans sa vie quotidienne : les noms japonais n'ont pas de genre, les verbes n'ont pas de personnes, et la grammaire est extrêmement sobre de ces mots qui en leur langue répondent à nos pronoms personnels. Excepté dans les cas où l'interlocuteur désire insister, et dans les antithèses, c'est par le contraste qu'il faut deviner quelle personne parle. Le je, le moi, le vous semblent absurdes et tautologiques aux oreilles d'un Japonais ; il discourra souvent pendant une demi-heure sans employer un seul pronom personnel...

Le langage japonais évite de personnifier les objets inanimés ou les qualités abstraites ; il ignore nos expressions anthropomorphiques.

Même impersonnalité dans la philosophie et la religion des Japonais : "Leur univers ressemble à leurs phrases sans sujet. Les choses ne leur paraissent pas causées par une ou par des volontés supérieures... N'ayant que peu de goût à diviniser l'homme, ils n'ont jamais nettement humanisé leurs dieux. Ils furent animistes sans imagination anthropomorphique. Leur mot kami, qui signifie littéralement sommet, au-dessus, s'applique aux supérieurs en général, et spécialement à ces supérieurs qu'en Occident nous appelons des dieux...

L'idée chrétienne d'un Dieu-personne, créateur du monde, dont l'action a été et demeure l'objet de révélation, les Japonais d'autrefois, comme ceux d'aujourd'hui, ne l'ont jamais bien comprise. "


«La moderne Osaka a gardé un aspect ancien de ville hollandaise, avec ses nombreux canaux et ses nombreux ponts.»





 

«Qui ne monte pas une fois au Fuji est insensé, qui y monte une seconde fois est fou.»

Le centre de Hondo

Le Fuji

" En montant au Fuji par Gotemba, on franchit des cols du plus rare pittoresque, et l'on rencontre successivement quatre lacs que l'on passe en barque.

Le somment, d'où l'en a, par les temps clairs, une vue extrêmement étendue, est constitué par une série de pics entourant le cratère.

Cette ascension donne souvent beaucoup de peine pour un faible plaisir, car les jours sont rares où le ciel du volcan est dégagé de brume ou de nuage ; aussi les Japonais disent-ils : "Qui ne monte pas une fois au Fuji est insensé, qui y monte une seconde fois est fou". "




 

«Il n'y a jamais de fronce, presque jamais de pince ; l'ampleur du kimono seule produit des plis du plus gracieux effet.»

 


 

 

"Le chant des geishya paraît singulier, déconcertant à l'oreille européenne, heurté, tour à tour suraigu et grave, lent et chevrotant, ou vif et gai : l'on dirait un mélange étrange de cris joyeux de hoquets, de lamentations, de grognements, de miaulements. L'esthétique musicale du japonais ne coïncide pas avec la nôtre, leurs échelles toniques ne se superposent à nos modes mineurs ou majeurs."


 

 

 

«On a dit qu'au Japon, "le nu est vu souvent, mais jamais regardé"

 

 

 

 

La toilette

" La porte de la salle de bains ne ferme pas plus à clef qu'aucune des portes de la maison. On entre sans cérémonie...

Un japonisant célèbre, le professeur Chamberlain, raconte qu'un jour, voyageant dans l'intérieur du pays, il cause avec des paysans habitant un village d'eaux thermales. Ceux-ci, - avec la politesse extrême-orientale qui veut qu'au lieu d'essayer d'en imposer aux autres par l'étalage de ses qualités, on leur révèle au contraire immédiatement ses défauts, - ceux-ci lui disent :

«Honorable voyageur, nous sommes très malpropres dans notre village, nous ne pouvons nous baigner qu'une ou deux fois par jour."

Il leur dit : En hiver, combien de fois vous baignez-vous ?

- Oh ! en hiver, quatre ou cinq fois!»

De ces habitudes de propreté générale, il résulte que la foule japonaise est l'une des moins odorantes et la plus agréable à fréquenter qu'il y ait au monde. Un voyageur imaginatif a même écrit "qu'elle ne dégage jamais qu'un léger parfum de géranium!"

On a pu ainsi expliquer cette impression de sir Edwin Arnold, le musc, jyako, discrètement employé, a un parfum qui ressemble à celui du géranium ; dans toute réunion japonaise où se rencontrent des femmes, cette fine odeur se laisse discerne : car les robes ont été serrées dans des tiroirs en contenant quelques grains. "

 

 

 

 

La vie matérielle 

La maison et le mobilier

" Sur le mur du tokonoma pend un kakemono, une peinture généralement quatre fois plus haute que large, sur soie ou sur papier, encadrée de bandes de soie. On change de temps à autre ces oeuvres d'art ; on remplace le kakemono, choisissant parmi les peintures que possède la famille, celle qui convient le mieux à la saison, au temps, à la couleur du jour, à la nuance morale que les événements projettent sur la vie sentimentale des hôtes de la maison. "

 

 

 

«Connaître le "ah!" des choses»





[...] la vie est devenue de plus en plus chère depuis vingt ans, surtout depuis la guerre mondiale. La situation des travailleurs industriels est pire qu'elle n'était à une époque de bas salaires et de vie moins coûteuse.

Les ouvrières et les enfants surtout sont durement exploités. Dans un ouvrage en français, animé d'un excellent esprit, intitulé : la Protection ouvrière au Japon (Paris, librairie Laroze, 1900), un haut fonctionnaire japonais, M. Saito Kashiro, chargé du service industriel au ministère de l'Agriculture et du Commerce, a eu le grand courage de dénoncer une cruelle situation.

Des agents recruteurs vont à la campagne, surtout dans les provinces lointaines ; ils font aux jeunes filles les plus belles promesses et obtiennent ainsi leur engagement.

" Une ancienne ouvrière de la filature de coton Kanegafuchi, à Tokyo, écrit M. Saito, m'a raconté que l'intermédiaire attaché à la société lui avait dit avant l'embauchage que le travail était facile, le salaire considérable, et qu'avant de se mettre à la besogne, on pouvait faire des promenades dans toute la ville e Tokyo, voir les théâtres, les concerts, tout ce que l'on voulait ; aller au restaurant et y faire de bons dîners. Comme la plupart des ouvrières sont des paysannes assez ignorantes de la vie, elles consentent à s'embaucher pour le seul plaisir de voir les diverses nouveautés de la grande ville. La nôtre partit donc. Cependant, le lendemain du jour où elle eut quitté sa province avec l'intermédiaire, celui-ci se borna à lui donner un plat de légumes et de riz pour le déjeuner et le dîner ; toutes ces dépenses lui furent comptées. Les autres frais furent aussi mis au compte de l'ouvrière. Lorsqu'elle fut arrivée à Tokyo, on la mena bien aux différents endroits de la ville et aux restaurants, mais tous les frais furent encore mis à sa charge. Comme elle n'avait pas assez d'argent, on retint sur son salaire de chaque mois une partie de ces frais. Or, ce travail était dur, et le salaire insuffisant : 50 centimes par jour. L'ouvrière ne put supporter cette condition intolérable et partit un soir de l'usine sous prétexte de promenade. Voilà ce que m'a raconté une ouvrière.

L'escroquerie dont elle a été victime n'est nullement un cas exceptionnel ; il se présente souvent dans chaque fabrique. " (Saito, ouvrage cité, p. 46.) 

 

 








 à bientôt - see you soon - bis bald !





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